Texte : Julien Gernez
Photos : Julien Gernez & Alain Ragu
2023
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Anatolian Eagle 2023
En Turquie pour une exercice international particulièrement exotique.
Anatolian Eagle est un exercice annuel majeur orchestré par la force aérienne Turque (Türk Hava Kuvvetleri - THK) depuis la base aérienne de Konya, située en Anatolie Centrale. Aujourd’hui considéré comme l'un des entraînements des plus accomplis et les plus complexes au monde, il attire au fil des éditions un nombre toujours plus élevé et varié de participants. Organisé du 2 au 12 mai dernier, Anatolian Eagle 2023-2 (AE23-2) a vu la participation de plus d'une soixantaine d'aéronefs issus d'une demi-douzaine de nations, dont certaines rarement, voir jamais vues en Europe.
Historique :
C’est consécutivement à la première participation de pilotes turcs à l'exercice américain Red Flag en 1997 (avec un détachement de six F-16) que la THK décida d’organiser son propre exercice d’entraînement au combat. Riche des enseignements délivrés lors du Red Flag et fort de l'expérience acquise lors de son engagement au côté de l'OTAN dans le conflit des Balkan à la toute fin des années 90, le commandement des opérations de la force aérienne turque organisa en juin 2001 la toute première édition de l'exercice Anatolian Eagle. Deux autres nations, Etats-Unis et Israël, alliées majeurs de la Turquie à cette époque, furent d’ailleurs invité à cette grande première.
Très apprécié des participants, l’exercice rencontra rapidement un vif succès et devint vite populaire parmi les pays alliés de la Turquie, qu’ils soient membre de l’OTAN ou non.
À raison de deux à trois sessions annuelles, dont au moins une est réservée uniquement aux forces turques, pas moins de 49 entraînements ont eu lieu depuis 2001 sous la bannière d’Anatolian Eagle. L’ensemble représentant plus de 40650 heures de vol en 25000 sorties effectuées par quelque 3135 aéronefs de 15 pays différents.
Organisation :
Anatolian Eagle est planifié et exécuté depuis les installations de l'AETC (Anatolian Eagle Training Center) situées sur la 3ncu Ana Jet Üs (3e base principale de jets) de Konya. Ce centre d'entraînement aux tactiques de combat, unique en Europe, dispense un enseignement de grande qualité et met à disposition tout le nécessaire en matière d’infrastructures comprenant un bâtiment principal avec salle de mass-briefing, trois bâtiments alloués aux participants (forces bleues), un quatrième alloué aux adversaires (forces rouges), des hangars de maintenance, un parking principal pouvant accueillir 50 aéronefs sans oublier le social avec les logements pour tout le personnel et le mess.
L’Anatolian Eagle Training Center se compose de trois éléments principaux :
- Le White HQ (C2 - Command & Control) qui est responsable de l’élaboration des scénarios de formation, de déterminer le niveau de formation, de libérer les Air Task Order, de surveiller, de commander et enfin d’évaluer.
- La Red Force constitué des pilotes « Aggressors » du 132 Filo simulant les appareils ennemis (comme les MiG-29, Yak-130, Su-27 ou encore Mirage 2000) et les contrôleurs GCI (Ground Controller of Interception - contrôleurs de défense aérienne). Cette force rouge est la principale aide à la formation de la force bleue.
- La Blue Force qui représente le public ciblé par la formation et qui est composée d’équipages d’unités turques et internationales.
Région peu peuplée, l’Anatolie Centrale permet aux équipages d’évoluer sans contrainte dans de vastes zones d'entraînement s'étendant sur plus de 126000 km² depuis la mer Méditerranée jusqu'à Ankara et des altitudes comprises entre 0 à 15000 mètres. Des conditions optimales pour conduire des COMAO à plus de soixante appareils.
Différents polygones de guerre électronique et d’attaque au sol - ces derniers équipés de systèmes de défense anti-aériens (SA6, SA8, SA11, ZSU-23, Hawk) - sont également mis à disposition.
Un exercice complet :
Les principaux objectifs d’Anatolian Eagle sont de : former les pilotes au combat de haute intensité dans un environnement contesté afin de réduire les pertes humaine et matérielles causées par l'inexpérience en opération ; renforcer l'interopérabilité entre les différentes nations en maximisant les échanges et enfin développer et intégrer de nouvelles procédures opérationnelles conjointes.
Les opérations aériennes s’enchaînent au rythme de deux quotidiennes avec une COMAO (COMbined Air Operation), baptisée « EAGLE 1 » le matin et une Non-COMAO baptisée « EAGLE 2 » l’après-midi. Désormais classiques, les COMAO permettent de mettre en exergue l'ensemble du spectre des missions conventionnelles : supériorité aérienne (CAP - Combat Air Patrol, OCA - Offensive Counter-Air), attaque au sol (CAS - Close Air Support, SEAD - Suppression of Enemy Air Defenses), recherche et sauvetage au combat (CSAR - Combat Search and Rescue), reconnaissance (RECCE), guerre electronic (EWT), strike maritime (ASUW - Anti-SUrface Warfare) ou encore protection (HVAA - High Value Air Asset offensive/defensive). À chacun de ces raids aériens, ce sont près d’une quarantaine de chasseurs des forces bleues qui affrontaient une quinzaine de "Red Air". Les Non-COMAO, moins complexes et donc plus rapides à préparer, permettaient de mettre l’accent sur certains types de combat bien précis afin de répondre aux besoins d’entraînement spécifique à certaines nations.
Toutes les missions étaient construites autour de scénarios complets et réalistes ; leur niveau de complexité évoluant crescendo jour après jour notamment par l’intégration de menaces toujours plus nombreuses et variées. Le pod ACMI, emporté par chacun des aéronefs, permettait aux Airboss de suivre chacune des missions en temps réel depuis l'AETC et de réaliser ensuite les debriefings détaillés en présence des officiers de sécurité et des équipages.
EA23-2 :
À l’instar des années précédentes, de nombreux aéronefs tant turcs qu’étrangers participaient à cette édition. Pays hôte, la Turquie fournissaient la grosse majorité des moyens aériens avec plus d'une quarantaine de F-16C/D (113e, 132e, 151e, 152e, 161e, 181e et 191e Filo), quatre F-4E ainsi qu'un E-7T, un KC-135R et des drones Anka-S et Akinci en support. À noter que ces derniers, tout comme le Stratotanker, opéraient directement depuis leur base respective.
Habituée de l'exercice, l'armée de l'air pakistanaise participait pour la 12e fois et envoya cinq F-16C/D block 52+ du 5 Sqn "Falcons", basés à Shahbaz Air Base. L’Armée de l’Air qatari envoya quant à elle cinq de ses nouveaux EF-2000 Typhoon du 7 Sqn en provenance de la nouvelle base de Tamim. Autre force aérienne majeure dans la région, les Émirats Arabes Unis participaient également à cette édition avec cinq F-16E/F block 60 "Desert Falcon". Ces F-16, considérés comme étant les plus avancés actuellement en service, provenaient de la base d'Al Dhafra et étaient équipés soit de missiles anto-radar AGM-88 HARM soit de missiles air-sol AGM-65 Maverick.
Opérant directement depuis la base chypriote d'Akrotiri, la RAF engageait de son côté quatre EF-2000 Typhoon. Ces derniers se firent donc plutôt discrets, ne venant à Konya que dans le cadre de la journée presse. Initialement prévue avec quatre F-15SA, l’Arabie Saoudite déclina finalement l’invitation des turques à la dernière minute en raison vraisemblablement de certaines tensions politiques entre les deux pays.
La dernière force étrangère participant à cette édition et certainement la plus attendue était l'armée de l'air azerbaïdjanaise qui déploya deux Su-25 Frogfoot de Kudamir AB. C'est la troisième année consécutive que les azéris étaient engagés dans cet exercice. En plus des deux Sukhoi alignés sur le tarmac avec les autres participants étrangers, une troisième machine était également présente du côté de la zone dévolue aux F-16 du 132 Filo. Portant le n°27, ce Su-25 était armé de deux bombes planantes guidées de nouvelle génération ASELSAN KGK-83. En effet, dans le cadre du projet ÖZGÜR réalisé avec la participation de plusieurs industriels turcs, les Frogfoot Azéris, acquis à partir du début des années 2000, font actuellement l'objet d'un vaste chantier de modernisation portant sur l’avionique, les systèmes de communication et de liaison de données et sur le système d'arme. Lors de notre venue sur la base de Konya, ce Su-25, quelque peu particulier, a d'ailleurs effectué un vol test qui s'est soldé par le largage réussi d'une KGK-83 sur un champ de tir tout proche. À noter également que les trois machines présentes étaient chacune équipées de deux pods d'autodéfense Talisman ADS et étaient porteuses, sur le nez, de nombreux marquages de missions réalisées durant le conflit du haut Karabakh qui opposa l'Azerbaïdjan à l'Arménie en 2020.
À noter que lors des COMAO, en plus du E-7T du 131e Filo, l’alerte aérienne avancée était également assurée par un E-3A AWACS du centre de commandement et de contrôle aérien de l’OTAN déployé de manière permanente sur la FOB (Forward Operating Base) de Konya.
Cette année encore, un certain nombre de nations étrangères, parmi lesquels le Maroc, la Libye ou encore la Géorgie, avaient dépêché sur place bon nombre d’observateurs afin de suivre les opérations.
Des Terminator toujours au top :
S’il y a bien un jet dont la présence et la participation à Anatolian Eagle était attendues, c’est bien le vénérable F-4 Phantom II. Bien qu’au crépuscule de sa carrière après presque un demi-siècle de service, le Phantom II reste à ce jour toujours activement utilisé par la force aérienne turque, essentiellement dans les missions air-sol. Les derniers appareils de ce type sont aujourd'hui rassemblés au sein du 111e Filo stationné sur la base d'Eskişehir. Selon les sources, il resterait à ce jour entre 30 et 40 cellules opérationnelles, tous portées au standard F-4E-2020, baptisés Terminator. En effet, à partir de la fin des années 90' et en partenariat avec l’industriel israélien IAI (Israel Aerospace Industries), la Turquie commença à moderniser une partie de ses 182 F-4E qu'elle perçue entre 1974 et 1992. Un total de 54 cellules seront finalement améliorées et amenées vers un standard similaire à celui proposé par le programme israélien "Kurnass 2000" lui-même extrapolé du programme "Lavi". Cette modernisation qui touchait essentiellement les commandes de vol, le radar, les systèmes de communication, de navigation, d'affichage, de contre-mesures et d'autoprotection ainsi que le système d'arme, permit d'augmenter la durée de vie des F-4 et d'accroître leur polyvalence grâce à des capacités air-sol élargies avec l'emploi notamment de bombes guidées laser GBU et du missile AGM-142 Popeye de type « fire-and-forget ». Ainsi modernisé, et avec le retrait de la Turquie du programme F-35, les Terminator turcs devraient rester en service jusqu’à la fin de la décennie.
Au fil des années, Anatolian Eagle s'est imposé comme un rendez-vous majeur voire incontournable de la préparation opérationnelle des forces aériennes Turques et de celles de ses alliés désireux d'améliorer leur aptitude au combat et leur interopérabilité. Anatolian Eagle est aussi une excellente occasion de voir en nombre des aéronefs de divers types porteurs de cocardes rarement vues dans nos contrées.
Tous nos remerciements vont au bureau de l’attaché militaire turc de l’ambassade de Paris ainsi qu’à l'armée de l'air turque et en particulier le bureau des affaires publiques pour leur hospitalité durant ces trois jours passés à Konya et l’organisation impeccable.